Après la crise, le "papy-krach"?

Alors que certains redoutent la surpopulation, c'est plutôt le "papy-krach" qui sera le phénomène sociodémographique le plus à craindre pour les prochaines décennies. La crise économique mondiale actuelle n'est qu'un avant goût de l'impact qu'aura la tendance lourde du "papy-krach" des pays industrialisés sur l'équilibre économique mondial des trois prochaines décennies. Depuis les années 1980, plusieurs auteurs ont abordés sous différents angle le phénomène de décroissance démographique qui succéderait au "baby boom" de l'après deuxième guerre mondiale, dont Michel Schooyans (Le crash démographique, 1999), Gérard-François Dumont, à l'origine du terme "hiver démographique" et précurseur de la "démographie politique" comme discipline, Bernard Spitz (Le Papy-Krach, 2006), Jean-Yves Ruaux (2030: le papy-crash, 2005), Yves-Marie Laulan (Les nations suicidaires, 2003) et bien d'autre. Toutefois, aujourd'hui la donne n'est plus la même. Le "papy-krach" sera un fait implacable qui s'insèrera dans une équation encore plus dévastatrice que ce qui avait pu être imaginé avant la crise économique mondiale et qui bouleversera radicalement le cours de l'histoire.

Heureusement ou malheureusement, jusqu'à récemment, il aurait semblé invraisemblable d'imaginer que les différents gouvernements de la planète auraient pu abandonner le système économique mondial aux mains de l'avidité, de l'incompétence et de la témérité inconsciente du monde de la finance.  Celui-ci a réussi à repousser le système économique jusque dans ses derniers retranchements et a provoqué la première grande crise économique mondiale. Plus improbable encore, il aurait été impensable d'envisager que la majorité des décideurs et des dirigeants politiques de la planète se ligueraient ensemble pour résoudre cette crise de la façon la plus injuste et la plus irresponsable qui puisse être en choisissant la fuite en avant. Ils se sont retrouvés à récompenser les responsables de ce désastre en utilisant les deniers publics pour renflouer à coup de milliers de milliards de dollars les entreprises qui étaient fautives et mal gérées, et cela, au nom du risque systémique d'éclatement du système. La facture de ces montagnes de dettes, quant à elle, a été refilée aux générations suivantes. Sans aucun doute, en s'abstenant de tenter de traduire en justice les responsables de la crise et en disséminant la pauvreté au sein de la population par la socialisation des pertes, l'histoire jugera qu'ils ont commis un grave crime contre l'humanité. Plus encore, par leur manque de vision et en programmant une austérité forcée pour les décennies à venir par l'accroissement record des déficits gouvernementaux, ils seront tenu responsables non seulement de n'avoir rien fait pour atténuer les effet du "papy-krach", mais en plus, ils auront laisser une économie affaiblit et en pleine dérive juste avant la tempête.  

Jusqu'à présent, la pérennité de la croissance de l'économie a reposé sur le levier de l'endettement et celui de l'augmentation démographique. Exactement à l'image d'une "chaîne de Ponzi" qui se développe avec toujours plus de nouveaux membres qui eux apportent de l'argent frais pour les membres qui les ont recruté et ainsi de suite.  En excluant la colonisation de d'autres planètes la dernière étape logique du développement de la "chaîne de Ponzi" du système économique mondial est justement la mondialisation. Cette dernière est non seulement atteinte, mais elle à commencer à démontrer de très nombreuses limites. Par exemple, au niveau de la capacité de production mondiale, l'exploitation des ressources naturelles et la pollution de l'environnement ont atteint un seuil critique qui menace sérieusement l'équilibre de l'écosystème planétaire et la survie de l'homme.  De même, la capacité maximale de production alimentaire est déjà atteinte, et serait largement dépassée, si l'ensemble de l'humanité adoptait le régime alimentaire nord américain. Plus encore, iI y a la menace grandissante des OGM dont on semble avoir littéralement perdu le contrôle tant au niveau de l'impact sur la biodiversité que des risques sur la santé. Dans ce contexte, il est facile de comprendre que la décroissance démographique que représente le "papy-krach" sera une véritable douche froide pour le système économique. Le tarissement simultané du levier de l'endettement et du levier de la croissance démographique ne sont pas un simple défi à relever, mais au contraire, une tache monumentale qui impliquent de repenser totalement le fonctionnement et la finalité du système économique.  

Du point de vue écologique, la décroissance démographique apparaît comme une bonne chose, une très bonne chose même. Le problème, avec le "papy-krach" se situe plutôt au niveau de la manière dont les choses vont s'enchainer lors des prises massives de retraite par les "baby boomers" des pays industrialisés. Pendant la prochaine décennie, il y aura plus de départ à la retraite que de nouveaux travailleurs. A priori, les nouvelles semblent bonnes pour les nouveaux travailleurs qui auront l'embarra du choix, mais il n'en est rien. Par exemple, en Allemagne, qui est déjà aux prises avec ce phénomène, très rapidement l'abondance d'emploi s'est transformée en de nombreuses fermetures et délocalisations d'entreprises en raison des importantes difficultés de recrutement et de la surenchère des salaires. Pour contrer ce problème, le gouvernement allemand à même augmenter en 2006 l'âge de la retraite, passant de 65 ans à 67 ans, en plus de mettre sur pied différents programmes dont le soutien aux travailleurs migrateurs qui reçoivent des allocations pour pouvoir trouver du travail en s'éloignant de leur lieu de résidence ou même pour trouver du travail à l'extérieur du pays. Au moment du "papy-krach", cette situation sera amplifiée par la forte pression sur la compétitivité entre les travailleurs qu'exerce la mondialisation. La délocalisation massive des dernières années des pays industrialisés vers les pays émergents a rendu dorénavant impossible la production de biens à des coûts équivalents dans les pays industrialisés. L'avantage de produire pour moins cher et d'acheter pour moins cher que procurait la mondialisation s'est maintenant transformé en un véritable problème. À court terme la mondialisation a augmenté le pouvoir d'achat des consommateurs des pays industrialisés, mais à long terme, elle a affecté à la baisse les conditions de travail des travailleurs. À titre d'exemple, pour l'industrie automobile américaine il est maintenant impossible de rivaliser avec les constructeurs automobiles asiatiques sans baisser les salaires des travailleurs. D'ailleurs, depuis la crise, les gouvernements de plusieurs pays demandent aux travailleurs d'accepter des réductions de salaire et de revoir à la baisse leurs conditions de travail afin de conserver leur emploi et d'aider à relancer l'économie. Parallèlement, la croissance accélérée des pays émergents continue d'exercer une pression importante sur les matières premières et l'énergie ce qui fait augmenter l'ensemble des coûts de production, et donc, fait aussi augmenter le coût final des produits et services. 

C'est donc dire que pour les pays industrialisés il est question de voir les salaires baisser et les coûts de base augmenter. Pour les "baby boomers" qui prendront leur retraite, ce scénario n'augure rien de bon parce qu'ils verront leur pouvoir d'achat s'éroder et leurs épargnes fondre au soleil simplement pour maintenir leur niveau de vie. En ce qui concerne les générations suivantes la situation est carrément catastrophique parce que non seulement leur niveau de vie va aller en se détériorant continuellement mais en plus ils devront payer plus pour avoir moins, incluant les services publics. Pendant que les "baby boomers" vieillissants nécessiteront plus de soins et de services, les jeunes, quant à eux, se retrouveront à lutter pour leur survie tout en rageant de voir les gouvernements surendettés, justement par les "baby boomers", augmenter les impôts et diminuer les services. Cette situation explosive pourrait facilement dégénérer en une grave crise sociale. Puisque les problèmes ne viennent pas seuls, il y a aussi un autre gros nuage à l'horizon. Les départs massifs à la retraite des "baby boomers" vont provoquer un des plus important flux monétaire que la planète économique n'ai jamais connu. Ces importants mouvements de capitaux vont toucher plusieurs secteurs à la fois, dont la bourse et l'immobilier. Alors que les "baby boomers" retraités vont massivement faire ce que tout retraité doit faire, ils vont tout simplement sécuriser leurs épargnes en se retirant de la bourse pour mettre leur argent dans des placements plus sûrs à l'abri des fluctuations des marchés. De même, plusieurs vendront leur grande maison pour aller habiter dans leur résidence secondaire ou simplement pour acheter une propriété plus petite, moins exigeante, moins cher d'entretien et mieux adaptée à leurs besoins. D'ailleurs, pour plusieurs "baby boomers", leur maison constitue une part importante de leur patrimoine et c'est souvent avec la vente de celle-ci qu'ils comptent financer une partie de leurs projets de retraite. Le résultat sera immédiat, le déséquilibre de l'offre et la demande fera plonger le prix des actions et des maisons. À défaut d'une chute brutale, ces marchés seront léthargiques pendant plusieurs années, voir des décennies. 

L'intensité de la chute des différents marchés dépendra de la capacité des  "baby boomers" de résister à la tentation de vendre à rabais leurs actions et leurs propriétés au risque de tout perdre. Toutefois, au moment de la retraite, rare sont les gens qui sont prêts à risquer les économies de toute une vie où encore à accepter le fait qu'ils pourraient attendre plusieurs années avant de voir la couleur de leur argent. De même, étant donné que plusieurs des "baby boomers" pourraient aussi se retrouver dans la situation de devoir aider leurs enfants victimes des conditions économiques difficile, il est probable que la crainte et les ventes forcées alimentent et amplifient davantage le mouvement déflationniste de ces actifs. Pour contrer ce phénomène et augmenter leurs revenus, les gouvernements pourraient adopter différentes mesures, dont la hausse des taxes et des taux d'imposition sur les gains en capitaux, la réduction des prestations et des allocations de retraite, l'augmentation de l'âge de la retraite, etc. Toutefois, l'effet de ces mesures deviendrait de moins en moins efficace au fur et à mesure que les différents marchés baisseraient parce que les conséquences de ne pas vendre sembleraient pire que celles de vendre. Pis encore, non seulement ce type d'interventions des gouvernements ne règleraient pas vraiment le problème à la source mais en plus elles priveraient les "baby boomers"  d'une partie des revenus provenant de leurs placements et  porteraient atteinte aux travailleurs en détériorant les conditions entourant la retraite.

Il est irréaliste de penser que le prix des actions et des maisons ne seront pas ébranlés par une hausse démesurée de l'offre et un tarissement rapide de la demande. Les deux générations qui suivent celle des "baby boomers" sont finalement moins nombreuses et surtout moins riche. Elles n'auront tout simplement pas les moyens de soutenir le prix des actions et encore moins celui des maisons. Il en va de même de même pour les fonds de retraite qui eux aussi seront durement touchés par l'augmentation des prestations et la baisse des cotisations. Cette situation va nécessairement entrainer des changements importants dans leurs façons de gérer les portefeuilles en plus de baisser leur tolérance aux risques. Ces modifications influenceront à leur tour négativement l'évolution des marchés. De leur coté, les gouvernements ne pourront tout simplement rien faire en raison des dettes astronomiques contractées durant les dernières décennies et particulièrement lors de la crise économique mondiale. Ce contexte difficile ne fera qu'encourager la spéculation et l'éclosion de nouvelles bulles sur les matières premières, l'énergie, les denrées alimentaires et même l'eau, ce qui aura pour effets d'empirer encore plus la situation économique et de dégrader davantage l'équilibre social.  

Un peu comme un tourbillon infernal, l'enlisement de l'économie pourrait sembler inévitable. Toutefois, certains gestes sont encore possible pour atténuer l'onde de choc. Une partie de la solution passe par une réforme du système économique actuel qui dépasse largement le modeste remodelage initié par les différents gouvernements lors de la crise économique mondiale. Les gouvernements devraient se mobiliser pour mettre en place les outils nécessaires à l'autosuffisance alimentaire et énergétique de leur population. La nationalisation de ces secteurs serait même une option privilégiée à envisager. Les gouvernements devraient piloter le développement d'énergies alternatives au pétrole afin d'être moins dépendant de cette énergie fossile qui s'épuise, mais aussi pour réduire l'impact écologique de son utilisation. Ils devraient aussi faciliter l'accès au logement et empêcher la spéculation abusive dans ce secteur essentiel en exerçant un contrôle sur les prix et en favorisant une planification adéquate de l'offre. De même, ils devraient intervenir dans les secteurs stratégiques des matières premières, de l'eau, du transport et des infrastructures pour favoriser une exploitation écologique et durable. La coopération internationale, dans le cadre de grands projets d'infrastructures au niveau agroalimentaire, de la gestion de l'eau, du transport et du développement de nouvelles énergies alternatives pourrait être un élément clef  pour établir de nouvelles bases solides au niveau des échanges commerciaux internationaux.  Dans cet esprit, par exemple, il devrait paraître normal et non révolutionnaire ou protectionniste qu'un gouvernement qui disposerait en abondance d'énergies comme l'hydroélectricité puisse s'approprier et nationaliser la production de véhicules électriques plutôt que de laisser, comme seule possibilité à sa population, de devoir importer des véhicules et du pétrole pour assurer ses déplacements.  De même, il devrait sembler inacceptable qu'une entreprise privée achète des terres dans un pays pour cultiver des denrées ou extraire de l'eau afin de les revendre avec profit aux habitants de ce même pays, ou pire encore, de piller ces ressources pour les vendre plus cher à des pays plus riches qui seraient en mesure de payer.  Au niveau individuel, la surconsommation ou la consommation de produits ou de services ayant une forte empreinte écologique devraient être réduite au profit d'une consommation plus raisonnable qui privilégierait les produits ou services ayant la plus faible empreinte écologique possible. 

Le "papy-Krach" peut être l'occasion inespérée de remettre à l'avant plan la famille comme valeur essentielle au développement de la société. Au-delà du climat économique difficile qui s'annonce et du fossé  entre les générations qui se creuse, il y a des familles qui seront ébranlées.  Tous les membres de ces familles devront relever leurs manches, se serrer les coudes et s'entraider pour améliorer leur sort.  À la base, si les familles n'arrivent pas à s'unir dans l'adversité comment peut on espérer un seul instant voir changer notre société de surconsommation et d'individualisme? Plus que jamais, de nombreuses personnes méritent de se faire lancer des pierres, et des grosses!  Le problème c'est que l'heure n'est plus à trouver des coupables mais plutôt de mettre de l'avant des solutions.  

Patrice Beaudoin MPA, B.a.,
19 octobre 2009