2008-2010: Une simple grave crise économique mondiale ou un changement historique ?

La crise économique mondiale actuelle était-elle prévisible?  

Depuis 2005, plusieurs personnalités de la finance et de l’économie ont prévenu des risques imminents d'une importante récession mondiale qui ébranlerait la planète et dont l'épi centre serait les États-Unis. Ces personnalités s'inquiétaient de l'ampleur et de la nature même de la croissance de l'économie des États-Unis et de l'économie mondiale depuis 2001, dont particulièrement Nouriel Roubini, Lyndon Larouche, Paul Dontigny Jr, Loic Abadie et j’en passe. Plus tard, plusieurs autres éminents personnages ont manifesté leurs inquiétudes face à l'état de l'économie mondiale dont Paul Krugman, Joseph E. Stiligz, Robert Shiller, Warren Buffet, Stephen Jarilowsky, Georges Soros, sans parler de nombreux organismes crédibles qui ont aussi fait retentir la sonnette d'alarme dans les derniers mois dont la Banque Mondiale, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) , le FMI (Fond monétaire international) et la BCE (Banque centrale européenne).  De même, que dire ou penser du fait que d'anciens dirigeants de banques centrales comme Alan Greenspan, président de la Réserve Fédérale de 1987 à 2006, ou David Dodge, gouverneur de la Banque du Canada de 2001 à 2008, aient dévoilés que, durant leur mandat, le risque d'une récession grave était connu. De son coté, sur le terrain, l'OMS (Organisation mondiale de la santé) a observé depuis quelques mois des conséquences importantes de la crise mondiale sur la santé des populations des pays les plus pauvres. Celles-ci ont été durement touchées par la succession de bulles spéculatives au niveau alimentaire, énergétique et des matières premières. Alors que les investisseurs affolés par la crise se sont réfugiés dans les marchés des produits de base pour protéger la valeur de leurs actifs, les populations les plus pauvres ont été directement affligées et appauvries par la flambée des prix de ces même produits de base. Ces dommages collatéraux de la crise soulèvent, pour aujourd'hui mais aussi pour demain, des questionnements éthiques importants quant aux responsabilités économiques et sociales des pays les plus riches envers les pays les plus pauvres.

Comment expliquer la crise économique mondiale actuelle?

La crise économique actuelle pourrait essentiellement s'expliquer par une économie surchauffée depuis trop longtemps par l'euphorie des dépenses des consommateurs, la prolifération de trop nombreux mécanismes financiers à risque comme les "hypothèques subprimes", les PCAA (papiers commerciaux adossés à des actifs), le "carry trade", l'utilisation à outrance de l'effet de levier dans les pratiques d'investissement,
le manque de rigueur dans  la gestion du risque, les évaluations laxistes des agences de cotation, le prolongement dans le temps de la politique des taux d'intérêt à rabais de la Réserve Fédérale, le manque d'encadrement des fonds spéculatifs (hedge funds), le mode de rémunération des dirigeants d'entreprises, le sentiment d'invulnérabilité des investisseurs, la confiance aveugle en la résilience de l'économie mondiale, la croissance mondiale insoutenable des prix de l'immobilier, l'endettement record des particuliers, des entreprises et des gouvernements, etc. Pour plusieurs, le point de non retour de cette situation économique impensable, mais prévisible, se situerait en 2001, après l'éclatement de la bulle des technos à la bourse et des tragiques attentats du 11 septembre.  En guise de réponse à ces attentats terroristes, outre le déclenchement d'une lutte militaire couteuse et acharnée contre l'Irak et les organisations terroristes, les États-Unis ont tenu à démontrer la solidité et la supériorité de leur économie en déployant tout les moyens possibles et inimaginables pour maintenir et stimuler la croissance, dont une politique désastreuse de baisse continue des taux d'intérêt, et par effet d'entraînement, une augmentation substantielle de la masse monétaire.

À partir de ce moment, la croissance 
de l'économie mondiale a été littéralement propulsée et soutenue par l'accroissement de l'endettement des particuliers, des entreprises et des gouvernements. Aux États-Unis, le niveau d'endettement des particuliers, des entreprises et du gouvernement représenterait un total de près de 60 000 milliards, soit presque 400% du PIB des États-Unis. Cette fuite en avant, était d'autant plus justifiée et rationnelle que les États-Unis et l'ensemble de l'économie mondiale avaient démontrés, depuis plusieurs décennies, une grande résilience aux turbulences économiques en se relevant à chaque fois des précédentes récessions et bulles spéculatives. Malheureusement, en devenant le principal levier de la croissance mondiale, l'endettement est aussi devenu le point de rupture de l'essentiel équilibre qui doit exister entre l'offre et la demande.  La demande a ainsi explosé alors que l'offre a peiné pour répondre à celle-ci.  Ce déséquilibre provoqué artificiellement par la baisse des taux d'intérêt a eu un impact particulièrement déterminant sur l'augmentation rapide et important des prix de l'immobilier. Il a ainsi favorisé la création d'une des bulles les plus dommageables que peut connaître une économie, soit, une bulle immobilière.  Ce type de bulle spéculative est destructrice parce que comme l'achat d'une propriété est la dépense la plus importante et la plus accomplissante de tout individu normalement constitué, elle se trouve à canaliser et à détourner vers l'immobilier la partie la plus importante des ressources financières de la majorité de la population. D'autre part, parce que cette faramineuse convergence de ressources financières dans ce seul secteur d'activité dope trop rapidement et énergiquement l'ensemble de l'économie réelle et, lorsque la bulle se dégonfle, provoque un effet proportionnellement inverse et dévastateur du mouvement du balancier sur la totalité de l'économie réelle, de l'immobilier en passant par les matières premières, l'industrie automobile, les biens de consommations durables, les produits de consommation de masse, les services financiers, etc. Plus l'immobilier augmentait, plus les propriétaires se sentaient riches et pouvaient utiliser l'effet de levier de l'augmentation de la valeur de leur propriété pour augmenter leurs emprunts et consommer encore plus.  Ce phénomène a été observé à l'échelle de la planète, mais c'est aux États-Unis qu'il a fait le plus de ravage, amplifié par la pratique des "hypothèques subprimes" qui permettaient ainsi subitement à la presque totalité des américains qui pouvaient emprunter d'entrer dans le marché de l'immobilier. Par cette pratique, le bassin potentiel d'acheteurs a été amené, de manière accélérée et brutale, pratiquement à son niveau maximum absolu. Pour le futur, la seule possibilité restante de maintenir une telle cadence de la croissance du marché de l'immobilier serait finalement que les gens se mettent à acheter plus d'une maison.  Cependant, qui peut et a les moyens d'acheter et d'entretenir plus d'une maison? Comment le système financier peut-il arriver en se reposant sur l'endettement à créer perpétuellement autant de richesse? Dans l'imaginaire collectif, la recette pour s'enrichir était tout simplement magique.  Il suffisait d'emprunter de l'argent pour acheter une maison. Ensuite, il suffisait de laisser la maison prendre rapidement de la valeur, sans rien faire. À ce stade, nul besoin d'épargner, il n'y avait qu'à revendre sa maison pour faire immédiatement un substantiel profit ou augmenter au besoin la valeur de son hypothèque pour obtenir de l'argent frais et ainsi continuer à dépenser plus, tout en continuant à s'enrichir, bien sûr. Cette recette était d'autant plus appétissante qu'elle profitait à l'ensemble des participants, dont les propriétaires, les banques, le monde de la finance, les gouvernements, mais aussi les travailleurs au noir et le crime organisé. Plus tenace qu'un mythe, la maison est un symbole de réussite, de sécurité, d'indépendance, de lieu d'attache et d'épanouissement personnel et familial. Elle est aussi une forme d'épargne forcée qui a le double mérite d'être une valeur refuge idéale parce que, contrairement à la bourse, elle est tangible et elle ne devrait jamais perdre de valeur.  

Que va-t-il advenir du système économique actuel?

En fait, la vraie question serait plutôt de savoir s'il est réellement souhaitable que le système économique actuel soit maintenu à tout prix. Est-il justifiable d'endetter massivement les gouvernements et les générations à venir pour renflouer ceux qui ont été les artisans de la crise économique mondiale actuelle, et ce, même au nom du terrible risque systémique d'éclatement du système.  Une chose est certaine, ce point soulève des passions et implique nécessairement de savoir si les décisions qui sont prises aujourd'hui, par les différents gouvernements, dont les nombreux plans de relance et multiples tentatives de renflouement des banques et autres grandes entreprises mal gérées, vont contribuer dans le futur à créer de la richesse ou au contraire à répartir la pauvreté.  Pour le moment, il semble que ces décisions vont surtout créer de la pauvreté et répartir les pertes sur l'ensemble de la population.  Certains considèrent que c'est un véritable vol contre l'humanité que de socialiser les pertes et de privatiser les gains. Dans ce sens, le débat va bien au-delà du resserrement de l'encadrement des systèmes financiers, la gestion du risque et du mode de rémunérations des dirigeants d'entreprises.  Ce sont les bases entières du capitalisme qui sont ébranlées et remises en question, notamment, quant au rôle des gouvernements d'assurer la justice, de punir les responsables de la crise, d'empêcher dans le futur la spéculation sur les besoins essentielles dont la nourriture, le logement, l'énergie et les matières premières de base, mais aussi, de promouvoir le développement durable et équitable de l'économie en fonction du respect de l'environnement et de valeurs fondamentales comme le travail, la famille et de meilleures pratiques de consommation et d'exploitation.  

Sans aucun doute, le libre marché soumis à la loi de l'offre et de la demande est en soi une bonne chose, et certainement l'expression ultime de la démocratie. Cependant, encore faut-il pouvoir avoir le libre choix d'entrer ou de sortir d'un marché. Ce libre choix s'applique difficilement lorsque l'on parle des besoins de base d'un individu ou d'une population, et encore plus, lorsque ceux-ci vivent dans la pauvreté.  De même, la loi de l'offre et la demande repose sur le principe d'un juste équilibre selon lequel seule l'offre qui s'adapte le mieux à la demande triomphera. En théorie donc, la loi de l'offre et la demande est une sorte de processus harmonieux qui favorise l'innovation, l'amélioration et l'ajustement continu de l'offre la plus adéquate à la demande. Malheureusement, le modèle actuel de consommation par l'endettement pousse davantage à une surconsommation et à une évaluation distortionnée de ses propres besoins. Difficile de dire combien de planète comme la Terre il faudrait pour répondre à tout les besoins actuels de la population, toutefois, à partir du moment où la réponse est supérieure à "1", il devient incontournable de reconnaître que des ajustements et des changements importants sont nécessaires à notre mode de surconsommation et au système économique qui l'encourage.    

Présentement, les investisseurs, les décideurs et la population en générale doivent être critiques face à l'évolution de la situation et aux solutions qui sont imposées.  D'un coté, les gens ne peuvent pas croire tout ce qu'on leur raconte, et par ce fait même, ils peuvent difficilement se faire une idée complète de la réalité et des enjeux qui entourent la crise. De l'autre coté, les gouvernements ne peuvent pas dire toutes la vérité pour ne pas empirer la situation. Du moins, c'est ce qu'ils semblent croire. À ce titre, il est inquiétant de constater que, depuis quelques années, et particulièrement depuis quelques mois, plusieurs statistiques importantes dans différents pays ont été modifiées afin de refléter une réalité plus rassurante. Par exemple, au niveau du calcul du PIB, dans certains cas, des biens produits mais non vendus ou même des projections de biens à produire ont été considérés afin de gonfler positivement ces chiffres. Dernièrement, aux États-Unis, le gouvernement a récemment supporté la suspension du "Mark-to-market accounting rules" dans les bilans financiers des entreprises pour permettre à celles-ci d'embellir leur situation réelle.  En France et au Canada, les statistiques sur le chômage ont intégré généreusement la notion de travailleur autonome et ce, afin de mieux représenter la nouvelle réalité du monde du travail, mais, dans les faits, cela a surtout permis d'améliorer avantageusement les résultats du calcul du taux de chômage. De même, le calcul du taux de chômage dans plusieurs pays a fait l'objet de certaines modifications au fils des ans qui visaient surtout à resserrer les critères et à réduire la période admissible. Les statistiques relatives au calcul de l'inflation ont elles aussi subi des modifications au cours des dernières années, notamment, afin de minimiser l'impact de l'indexation des régimes de retraites sur l'augmentation des dépenses des gouvernements et des entreprises.  Aux États-Unis, depuis 1987 le calcul de certaines mesures relativement à la masse monétaire a été abandonné ou modifié, ce qui a une influence importante sur la variabilité de la qualité des orientations des politiques monétaires qui sont prises. Dans un contexte de crise économique grave, comme maintenant, l'altération de cette dernière mesure n'est pas à négliger. D'autant plus qu'une partie des solutions avancées jusqu'à maintenant reposent justement sur un contrôle judicieux et chirurgical de l'augmentation de la masse monétaire.

Quelles perspectives envisager pour les marchés boursiers et l'économie réelle?

Les baisses importantes et les nombreux rebonds techniques que connaissent l'ensemble des marchés boursiers de la planète laissent perplexes plus d'un spécialiste parce qu'ils semblent déconnectés de la réalité. Que dire de la grande volatilité des différentes devises dans le monde qui étonne de jour en jour les cambistes eux-mêmes? Certes, les bourses devancent toujours la reprise de l'économie réelle, mais la rapidité des hausses et des baisses observées témoigne plus d'une logique spéculative que d'une reprise de confiance justifiée envers l'économie. D'autant que, vraisemblablement, pour les prochains mois, dans l'ensemble des pays, le chômage devrait continuer sa hausse, le PIB devrait encore baisser, et les entreprises devraient continuer d'annoncer majoritairement des baisses de profits et des pertes. D'ailleurs, ces dernières mesures sont continuellement revues à la baisse depuis plusieurs mois déjà. Sans conteste, cette volatilité importante des derniers mois, dans les principaux marchés du monde, inquiète plusieurs intervenants, dont le FMI, la Banque mondiale, la Réserve Fédérale, l'OCDE, la BCE, plusieurs prix Nobel d'économie, de même que le gouvernement des États-Unis, de la Chine, du Japon, de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la France, de l'Italie, de l'Espagne, de la Russie, de l'Inde, du Brésil, etc.  La plupart des intervenants, même les plus optimistes, reconnaissent de plus en plus qu'il ne s'agit pas d'un marcher baissier habituel dans le sens qu'il apparaît être davantage systémique que cyclique. La situation est carrément inédite. Premièrement, fait important, il s'agit du premier marché baissier qui s'étend à l'échelle mondiale et qui touche l'ensemble des secteurs d'activités. Cela remet directement en question la théorie du découplage des économies, dont est supposé favoriser la mondialisation, et qui veut que lorsque le cycle économique de certains pays ralentit, le cycle économique d'autres pays s'accélère et se trouve à compenser le manque à gagner. Dans les faits, les relations commerciales internationales sont plutôt tendancieuses du fait qu'elles sont polarisées autours des pays riches (États-Unis, Japon, Allemagne, Angleterre, France, Italie et Canada) qui représentent plus de 60% de l'économie mondiale et qui achètent une grande partie de ce que les pays émergents (Chine, Russie, Inde, Brésil et autres) produisent. Présentement, les pays émergents ont un poids trop marginal dans l'économie mondial pour arriver à eux seuls à la relancer, mais dans le futur, la situation pourrait changer. Surtout dans un contexte ou les pays riches continuent de s'affaiblir davantage alors que les pays émergents poursuivent leur croissance. À ce moment, les pays riches pourraient certainement connaître une période de déflation importante. Pire encore, s'il advenait la création d'un panier de devises internationales de réserve, en remplacement du dollar américain, cet évènement serait extrêmement déterminant pour les États-Unis parce qu'il signifierait une perte de confiance généralisée envers l'économie américaine, et donc, la fin de leur suprématie économique et de l'hégémonie politique qu'ils exercent sur le reste de la planète. En cas de dévaluation importante du dollar américain, la déflation pourrait rapidement laisser la place à une importante inflation aux États-Unis, et par effet d'entrainement, créer des problèmes pour les nombreux pays qui sont tributaires ou liés à l'économie américaine. Ce scénario serait sûrement un des plus sombres parce qu'il voudrait dire que l'ensemble des gouvernements auraient laissé la situation dégénérer au point d'en perdre le contrôle. Deuxièmement, ce marché baissier découle de l'important dérapage du système financier qui a provoqué une contraction du crédit, mais aussi des dépenses réelles des consommateurs et des entreprises. Chose que plusieurs croyaient impossible. Pour ces raisons, certaines personnes pensent que ce ne sera pas un marché boursier baissier traditionnel qui va récupérer rapidement et qui suivra une courbe rapide en V mais qu'il s'agit plutôt d'un marché baissier qui suivra une courbe en U avec une lente reprise. Les plus pessimistes font référence à une courbe en L qui représenterait une longue reprise qui serait à la fois très lente et faible. De plus, ces différents scénarios n'excluent nullement de nombreux rebonds techniques des marchés (courbe en W), puisque tel que mentionné précédemment, il s'agit d'une situation inédite, et que les marchés semblent davantage répondre à une logique de spéculation plutôt qu'à une logique basée sur l'analyse de données fondamentales. Les nouvelles sont tellement mauvaises, que même l'annonce de mauvaises données économiques ou la découverte de fraudes démesurées comme celle de 4.82 milliards d'euros de l'opérateur Jérôme Kerviel à la SGF en 2008 ou celle de 50 milliards US de la chaine de Ponzi de Bernard Madoff en 2008, qui a été un des présidents du conseil des directeurs du Nasdaq, ne semblent guère plus ébranler ou émouvoir les marchés. Toutefois, pour certains experts, en fonction du ratio cours / bénéfices, la valeur de plusieurs actions est encore surévaluée et laisse présager que le bas du marché n'a pas été encore atteint.

Au niveau économique, différents scénarios sont possibles. La poursuite de la crise pourrait être de type "crise économique de l'Argentine 1998-2002".  Dans le cas de l'Argentine, la crise économique s'est matérialisée par un effondrement important et brutal avec une purge rapide des mauvais actifs et une importante déflation. Par la suite, une dévaluation forcée de la devise par l'abandon du "currency board" par le gouvernement argentin a été accompagnée d'une importante inflation. Finalement, une certaine stabilisation de l'économie de l'Argentine s'est effectuée en plusieurs mois avec une reprise moyenne grâce à la compétitivité internationale accrue qu'a procurée une devise moins forte. À l'inverse, la poursuite de la crise pourrait être de type "crise économique du Japon 1990-2002".  Dans le cas du Japon, la crise a pris la forme d'un effondrement lent et douloureux échelonné sur plusieurs années avec une longue purge des mauvais actifs et une longue période de déflation.  Cette dernière a été atténuée par une politique de bas taux d'intérêt et par l'endettement massif du gouvernement japonais pour soutenir l'économie. L'endettement du gouvernement du Japon a atteint l'équivalent d'environ 170% de son PIB. Finalement, la reprise de l'économie du Japon a été supportée par la vigueur du marché de l'exportation, qui lui même a été stimulé par la forte demande extérieure issue de la croissance rapide de l'économie de la Chine et de la croissance soutenue du reste de la planète, et plus tard, par la reprise de la demande intérieure. Ce n'est qu'au début 2006 que le Japon aurait réussi à vaincre la déflation. Toutefois, avec la crise économique mondiale actuelle, l'économie du Japon qui est fortement exportatrice a encore une fois un défi difficile à relever. Cependant, aujourd'hui il n'est pas seul sur la ligne de front a devoir relever ce défi. Est-ce dire qu'une crise à la japonaise serait davantage problématique parce que l'ensemble des pays sont aux prises avec une baisse simultanée de leur demande intérieure et de la demande extérieure. Effectivement, il est raisonnable de le croire. D'autant plus que, pour le moment, les nombreux plans de relance adoptés par l'ensemble des gouvernements dans le monde, sans être protectionnistes, visent principalement la relance de la demande intérieure. Dans ce contexte, considérant l'endettement record des gouvernements à travers le monde, comme ce fut le cas pour le Japon, il est pertinent de se demander comment, ou à quel moment, la demande extérieure viendra sauver l'économie de chaque pays en difficulté.  Pour compliquer la situation, depuis 30 ans, les pays riches laissent s'éroder leur basse industrielle pour la relocaliser dans les pays émergents.  Aujourd'hui, avec le tarissement du levier de l'endettement à outrance, les pays riches n'ont plus vraiment les moyens d'acheter plus et les pays émergents n'ont plus assez de demande pour produire plus. En contrepartie, considérant que les pays émergents disposent d'une base industrielle importante et du désir de partager notre mode de vie de surconsommation, est-il souhaitable d'envisager que les pays émergent prennent le relais de cette manière et reproduise le modèle actuel? Est-ce que collectivement il est judicieux de soutenir le système économique actuel au détriment de l'environnement et d'une surexploitation des ressources? De même, que penser  de la relocalisation alimentaire qui gagne en popularité et qui consiste, pour des pays riches, des fonds d'investissement ou des fonds souverains, à acheter des terres agricoles partout sur la planète pour cultiver et exploiter ces terres à leur profit?  Que penser aussi du lobbying ou des jeux politiques qui se déroulent aujourd'hui pour le contrôle de l'eau demain? Vers quoi se dirige-t-on exactement? 

Dépression déflationniste ou spirale hyper inflationniste?

D'un coté, il est possible de croire que la surchauffe de l'économie qui a amené le dégonflement simultané de plusieurs bulles spéculatives dont celle du pétrole, des matières premières et de l'immobilier, pourrait entrainer une dépression déflationniste et elle même accentuer une purge des valeurs toxiques et virtuelles présentes dans l'économie qui, au final, ramènerait l'économie à un niveau congruent entre sa capacité de production et les valeurs produites réellement. Cette situation permettrait une reprise de l'économie sur des bases solides parce qu'elle serait ainsi libérée des excès et des abus qui ont mené à la crise. En raison de l'absence du levier de l'endettement à outrance, la reprise serait donc plutôt lente mais soutenue et traduirait certainement de meilleures pratiques de la gestion du risque, un meilleur contrôle de la spéculation et la création de véritables richesses durables plus respectueuses de l'environnement. Les grands gagnants seraient ceux qui ont peu de dettes et qui disposent de liquidités pour pouvoir acheter à rabais les produits et les services dont ils ont besoin, mais aussi pour investir dans un marché assaini. Les personnes raisonnables, mais aussi les pauvres, en seraient les vrais gagnants. D'un autre coté, il est aussi possible de croire que l'endettement massif et l'augmentation rapide de la masse monétaire par les différents gouvernements pourraient, au final, se solder par une formidable inflation désordonnée accompagnée de l'effondrement de nombreuses devises. Certains même espèrent ce scénario parce qu’il permettrait de faire fondre les dettes récemment contractées par les différents gouvernements, mais aussi celles des entreprises et des consommateurs. Effectivement, si tous les gouvernements s'endettent massivement et simultanément, au final, ils finiront, par leurs  dettes respectives et équivalentes, à rééquilibrer leurs échanges commerciaux entre eux. Un peu comme si l'excès collectif de dettes annulerait la dette de chacun. Les grands gagnants seraient évidemment les plus endettés qui verraient leurs dettes fondre et leurs actifs exploser, pour ceux qui ont des actifs. Les riches et les preneurs de risque seraient ceux qui en profiteraient le plus. L'hyper inflation veut dire que tous les prix augmenteraient beaucoup, mais pas nécessairement les salaires. Si, en théorie, le dernier scénario est moins probable que le premier, il serait certainement le pire parce qu'il constituerait une fulgurante répartition de la pauvreté sur l'ensemble de la population et engendrerait une crise sociale mondiale encore jamais vue. Face à cette dernière alternative, il faut rester prudent parce que certaines personnes prédisent que, dans une première phase de stabilisation de l'économie, c'est la déflation qui va s'installer et que, lorsque les gouvernements auront perdus le contrôle de leur endettement et de la masse monétaire qu'ils auront créés exponentiellement, c'est une inflation rapide qui s'installera.  Cette dernière pourrait même entrainer une nouvelle crise économique mondiale encore pire. D'autant qu'elle pourrait se matérialiser par l'effondrement d'économies importantes et inciterait encore plus massivement la création de bulles spéculatives sauvages sur les produits et les services de bases en guise de refuge privilégié. Actuellement, les gouvernements exhortent les citoyens à la sagesse et leur demande de croire que les milliards qui sont investis, soit à l'heure actuelle près de 10 000 milliards à l'échelle de la planète, sont nécessaires pour sauver le système et relancer l'économie afin d'éviter le pire. Le pire mais pour qui?  Ils demandent aussi aux travailleurs d'être raisonnables et d'accepter une baisse de leur salaire et de leurs conditions, tout comme ils demandent à la population d'accepter les importantes pertes dans leurs fonds de pensions et de retraites. Pourquoi? Parce qu'il faut que les pays riches soient plus compétitifs face au pays émergents. Il faut absolument que la population fasse des concessions pour que l'économie reprenne et ainsi pouvoir construire un avenir meilleur.  Dans un tel contexte, il est pertinent de se demander ce qui est vraiment pire entre la déflation ou l'hyper inflation?

La crise est-elle un bon moment pour initier des changements?

Si la crise n'est pas un bon moment pour initier des changements, il n'y aura jamais de bon moment pour le faire. Pour une des rare fois depuis plusieurs décennies, dans le cadre du G20 par exemple, l'ensemble des gouvernements de la planète s'unissent pour faire front contre un ennemi commun, la crise économique mondiale. Ils évoquent même l'importance de la lutte à la pauvreté et de la protection de l'environnement dans les solutions qui doivent être avancées pour résoudre la crise. Est-ce suffisant? Sûrement pas. Dans tout les cas, des changements historiques doivent se produire. Au risque de passer pour un partisan de la gauche, une partie de la solution passe par une réforme du système économique actuel qui dépasse largement le modeste remodelage proposé présentement par les différents gouvernements. Les gouvernements devraient se mobiliser pour mettre en place les outils nécessaires à l'autosuffisance alimentaire et énergétique de leur population. La nationalisation de ces secteurs serait même une option privilégiée à envisager. Les gouvernements devraient piloter le développement d'énergies alternatives au pétrole afin d'être moins dépendant de cette énergie fossile qui s'épuise, mais aussi pour réduire l'impact écologique de son utilisation. Ils devraient aussi faciliter l'accès au logement et empêcher la spéculation abusive dans ce secteur essentiel en exerçant un contrôle sur les prix et en favorisant une planification adéquate de l'offre. De même, ils devraient intervenir dans les secteurs stratégiques des matières premières, de l'eau, du transport et des infrastructures pour favoriser une exploitation écologique et durable. La coopération internationale, dans le cadre de grands projets d'infrastructures au niveau agroalimentaire, de la gestion de l'eau, du transport et du développement de nouvelles énergies alternatives pourrait être un élément clef  pour établir de nouvelles bases solides au niveau des échanges commerciaux internationaux.  Dans cet esprit, par exemple, il devrait paraître normal et non révolutionnaire ou protectionniste qu'un gouvernement qui disposerait en abondance d'énergies comme l'hydroélectricité puisse s'approprier et nationaliser la production de véhicules électriques plutôt que de laisser, comme seule possibilité à sa population, de devoir importer des véhicules et du pétrole pour assurer ses déplacements.  De même, il devrait sembler inacceptable qu'une entreprise privée achète des terres dans un pays pour cultiver des denrées ou extraire de l'eau afin de les revendre avec profit aux habitants de ce même pays, ou pire encore, de piller ces ressources pour les vendre plus cher à des pays plus riches qui seraient en mesure de payer.  Au niveau individuel, la surconsommation ou la consommation de produits ou de services ayant une forte empreinte écologique devraient être réduite au profit d'une consommation plus raisonnable qui privilégierait les produits ou services ayant la plus faible empreinte écologique possible. 

Patrice Beaudoin MPA, B.a.,
25 mai 2009